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23 juin 2015 2 23 /06 /juin /2015 23:52

Séquence IX. L’humanisme : vers de nouveaux horizons.

Il s’agit ici de la 2ème partie de votre grande séquence sur l’humanisme.

Je vous rappelle la problématique retenue :

Entre imitation et renouveau, comment les humanistes interrogent-ils le monde?

Je vous la rappelle pour faire le lien avec les poèmes de Louise Labé.

En effet, le lien avec la problématique (et le titre de la séquence) semble relativement évident avec le groupement de textes puisque les thèmes des trois textes s’inscrivent dans les préoccupations humanistes : foi en l’homme, éducation, soif de savoir, réflexion sur la religion et sur la société, réflexion sur l’homme en général, découverte de nouveaux horizons qui alimentent toutes ces réflexions et amène à relativiser (acceptation de l’autre, tolérance, remise en cause de ses propres pratiques).

En revanche, le lien est moins évident pour Louise Labé.

L’école lyonnaise, groupe de poètes auquel appartient Louise Labé, appartient au mouvement plus large qu’est l’humanisme mais n’a pas des principes aussi marqués que ceux de la Pléiade.

  • Leur thème de prédilection est l’amour
  • Leur vision de l’amour s’inspire du platonisme et du néoplatonisme
  • Ils s’inspirent de Pétrarque (et donc de la poésie pétrarquiste)
  • Il y a plusieurs femmes parmi ces poètes, les plus connues étant Louise Labé et Pernette du Guillet.

Si l’on regarde la problématique :

  • En ce qui concerne l’interrogation sur le monde (idée très large, qui englobe bien sûr l’idée d’interrogation sur l’homme), Louise Labé s’interroge essentiellement sur l’amour, sa définition et ses effets et, par là, elle s’interroge aussi sur elle-même. Elle s’interroge également sur le rôle de l’art.
  • « entre imitation et renouveau », c’est une idée essentielle pour les deux poèmes de la poétesse, car si elle imite Pétrarque dans une certaine mesure, elle propose une vision très personnelle de l’amour, à travers un lyrisme également très personnel.

BIOGRAPHIE

  • Née à Lyon (vers 1524), Louise Labé est la fille d’n riche artisan cordier : ce sera également la profession de son mari, Ennemond Perrin, épousé vers 1540, d’où son surnom : « la Belle Cordière ». Elle reçoit une éducation moderne, conforme à l’esprit de ce milieu bourgeois lyonnais où l’influence italienne est prépondérante : latin, italien, musique, équitation en sont les principales rubriques.

Elle participe très activement à la vie mondaine et culturelle de sa ville, qui connaît alors son apogée. On ne sait rien de ses amours, hormis sa passion pour le poète Olivier de Magny (le compagnon de Du Bellay à Rome). Très tôt la légende, sur la foi de sa poésie, en fera une courtisane. Les injures commencent d’ailleurs de son vivant, de la part d’esprits rigoristes comme Calvin. Quoi qu’il en soit, la publication de ses Œuvres est un événement littéraire, célébré par nombre d’éloges poétiques, qui accompagnent ses propres textes. Louise Labé est considérée comme une nouvelle Sapho (poétesse grecque de l’Antiquité, entre le VII et le VIème S av. JC, qui vécut sur l’île de Lesbos).

La gloire de Lyon décline peu à peu. Après la mort de son mari, et celle de Magny, Louise Labé connaît quelques années plus retirées. C’est dans sa maison de la Dombes (région proche de Lyon) qu’elle meurt, en 1566.

Louise Labé reste une des plus grandes dames de la poésie lyrique française.

[Pour info

La poésie de Louise Labé a suscité une forme extrême du préjugé qui voit dans la poésie le reflet de la réalité vécue. On a donc prêté à la poétesse des amours coupables et désespérées, et fait de la sincérité la vertu principale de ses vers. La réaction contre cette tendance a pu produire l’excès inverse, invitant à lire élégies et sonnets comme un pur exercice de style, dans le goût pétrarquiste.

C’est là un faux débat. Cette œuvre si brève (3 élégies, 25 sonnets, outre le Débat de Folie et d’Amour, qui est d’un autre ordre) est originale par la violence qu’elle imprime à la rhétorique amoureuse traditionnelle en lui faisant subir un retournement délibéré : c’est l’homme qui devient l’objet érotique dont on détaille les charmes, c’est la femme qui assume le rôle favori du sujet de l’énonciation dans le pétrarquisme, à savoir la souffrance du désir (habituellement attribué à l’homme). Nul ne mesure mieux que Louise Labé l’audace d’un tel échange, illustrant le programme qu’elle assigne aux femmes dans sa préface : « s’appliquer aux sciences et disciplines »1 (voir+ bas) jusqu’ici réservées aux hommes, et mettre comme eux « ses conceptions par écrit ». C’est donc faire injustice à cet art achevé et conscient de ses effets que de le limiter à un cri irrépressible.

La solution choisie s’oppose à celle adoptée, un peu plus tôt, par Pernette du Guillet. Chez cette dernière, la dame accepte partiellement le rôle que lui donne le poète qu’elle aime (Maurice Scève, autre poète de l’école lyonnaise) : emblème de pureté que vise un désir impur et douloureux, elle joue de cette image pour déjouer ce désir, le transformer, le sublimer.

Chez Louise Labé, la femme n’est à aucun degré la maîtresse insensible : amante plutôt qu’aimée, c’est elle qui souffre, c’est-à-dire que c’est elle qui désire et qui organise le rituel érotique. Le retournement n’est cependant pas complet : la cruauté de l’aimé n’est pas faite de froideur, mais de légèreté, ce qui nous replonge, par-delà le pétrarquisme, dans l’univers des poètes élégiaques latins.

Appropriation du désir, appropriation de la fureur poétique : les vers de Louise Labé portent la trace de cette double ambition.]

  1. L’épître dédicatoire du recueil exprime la conscience que Louise Labé avait de sa singularité et appelait, à sa façon, les femmes à participer à la Renaissance.

« Étant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines : il me semble que celles qui ont la commodité, doivent employer cette honnête liberté que notre sexe a autrefois tant désirée, à icelles apprendre : et montrer aux hommes le tort qu’ils nous faisaient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvait venir. Et si quelqu’une parvient en tel degré que de pouvoir mettre ses conceptions par écrit, le faire soigneusement et non dédaigner la gloire, et s’en pare plutôt que de chaînes, anneaux et somptueux habits : lesquels ne pouvons vraiment estimer nôtres que par usage. Mais l’honneur que la science nous procurera, sera entièrement nôtre: et ne nous pourra être ôté, ni par finesse de larron, ni force d’ennemis, ni longueur du temps. »

  • Les 25 sonnets de Louise Labé sont emprunts d’un pétrarquisme dont ils se détachent cependant avec audace : comme il est expliqué ci-dessus, la poétesse retourne la situation amoureuse traditionnelle (le poète souffre et exprime un désir douloureux, ou il cherche à séduire la femme aimée comme Ronsard dans plusieurs poèmes) et exprime, dans un lyrisme personnel, sensuel, ses sentiments pour l’homme qu’elle aime. Le sonnet VIII est certainement le plus célèbre : il exprime très justement l’universel pouvoir de l’amour.

Quelques mots sur le sonnet.

Né sans doute en Sicile au XIIIème siècle, le sonnet triomphe en Toscane, au siècle suivant, avec notamment le Canzoniere, de Pétrarque (1304-1374). C’est un poème de quatorze vers de même mètre, formé de deux quatrains à rimes identiques embrassées suivis d’un sizain (ou, si l’on veut, de deux tercets, liés par la rime : un tercet seul n’est pas une strophe, le système des rimes n’y étant pas complet). La structure des rimes varie beaucoup dans le sizain de Pétrarque.

C’est par imitation que le sonnet fut introduit en France, dans les années 1530-1540. On trouve les premiers sous la plume de Clément Marot, puis de Mellin de Saint-Gelais (1491-1558), maître de la poésie de cour sous François 1er et Henri II. Le premier recueil de sonnets français fut la première traduction du Canzoniere (1548) par Vasquin Philieul. Enfin vint l’Olive, de Du Bellay (1549-1550), qui use encore d’une grande liberté de rimes dans le sizain. Peu à peu tendent à s’imposer deux modèles : ccd-eed (forme dite italienne) et ccd-ede (forme dite française).

Le sonnet arrive en France avec la thématique amoureuse du pétrarquisme. Pour Ronsard et Du Bellay, le sonnet fait partie des genres nobles, et Ronsard, dans les Amours de 1552 (« Amours de Cassandre »), le soumet à la même règle que la grande poésie lyrique des odes : l’alternance des rimes féminines et masculines.

Les deux poètes vont renouveler l’inspiration du genre. Tour à tour humoristique, satirique, mélancolique, le sonnet s’écrit sur tous les tons et devient le genre bref par excellence. Ronsard le fait passer du décasyllabe à l’alexandrin. Ainsi commence le long règne du sonnet, interrompu au cours du XVIIIème siècle avant de renaître, sous des formes diverses, à l’époque romantique.

PLAN

  1. Un sonnet marqué par le pétrarquisme

  1. La structure et le thème du sonnet
  2. Une expression antithétique de la souffrance amoureuse
  3. Une expression hyperbolique de la passion amoureuse

  1. Un lyrisme plus exalté et plus personnel

  1. L’affirmation d’un « je » souffrant
  2. Des émotions incarnées
  3. Le pouvoir de l’amour : reconnu et accepté

DEVELOPPEMENT

  1. Un sonnet marqué par le pétrarquisme

  1. La structure et le thème du sonnet

  • Ce poème semble directement inspiré du pétrarquisme. Composé de quatorze vers répartis en quatre strophes et écrit en décasyllabes, il est formé de deux quatrains et deux tercets. L’ensemble est rimé en ABBA ABBA (rimes embrassées) puis CDC et CDD (rimes croisées puis plates).

  • Le poème affirme le pouvoir de l’Amour. Très présent chez Pétrarque, le dieu amour apparaît sous la forme d’une allégorie au vers 9 de ce sonnet. Comme l’indique le connecteur logique « Ainsi », il est l’explication des maux de la locutrice, le sujet tortionnaire des tercets en somme, puisqu’il régit les verbes « mène » (vers 4) et « remet » (14), en s’assimilant à une force négative.

Francesco Petrarca, en français Pétrarque (1304 -1374), est un érudit, poète et humaniste italien. Avec Dante Alighieri et Boccace, il compte parmi les premiers grands auteurs de la littérature italienne.

  • Plus que Dante avec Béatrice, Pétrarque est passé à la postérité pour la perfection de sa poésie qui met en vers son amour pour Laure (probablement une jeune femme nommée Laure de Noves. Pour beaucoup, l'ensemble de sa gloire, l'essentiel de sa renommée, la portée de son influence, tant stylistique que linguistique, tiennent uniquement à un volume, son immortel Canzoniere. Par ses formes (le sonnet) et son inspiration lyrique, ce dernier a servi de modèle à toute l’Europe de la Renaissance : plusieurs lieux communs amoureux et clichés poétiques en sont issus.

L’amour chez Pétrarque s’exprime dans un langage stéréotypé imitant les conventions langagières de l’amour à la Renaissance. Dans cet amour éthéré, la femme est idéalisée et c’est plus l’amour en lui-même que l’aimée qui est célébré.

Rappel : l’amour issu des sonnets de Pétrarque

  • la passion amoureuse est personnifiée
  • on éprouve et ne cesse d’exprimer des sentiments pour une femme très belle et inaccessible (ici la poétesse renverse cette situation), et l’amour est présenté comme une blessure.
  • Dès lors, l’amant (ici l’amante) repoussé€ entretient sa mélancolie.
  • Plusieurs figures sont associées à cette poésie : la métaphore, l’allégorie, l’hyperbole et, surtout, l’oxymore ou l’antithèse (expression qui réunit deux mots ou deux ensembles de termes aux significations contradictoires et dont la formulation suppose donc une antinomie insoluble). C’est une figure que les poètes européens du XVIème siècle (et les dramaturges baroques) ont largement utilisée pour exprimer les contradictions de l’existence ou la simultanéité de sensations contraires. (Ainsi Roméo, dans Roméo et Juliette (pièce baroque), évoquant son amour pour Rosaline, en use et en abuse : la fin de la 1ère scène est truffée d’oxymores qui expriment les contradictions de l’amour :
  • « Ô amoureuse haine ! Ô tout, créé de rien ! Ô lourde légèreté ! Vanité sérieuse ! Informe chaos de ravissantes visions ! Plume de plomb, lumineuse fumée, feu glacé, santé maladive ! Sommeil toujours éveillé qui n’est pas ce qu’il est ! »
  • « Qu’est-ce encore ? La folle la plus raisonnable, une suffocante amertume, une vivifiante douceur ! »

[Rem : ce caractère contradictoire de l’amour se retrouve dans ses origines mythologiques :

  • dans la mythologie latine, le dieu de l’amour est Cupidon, un enfant ailé armé d’un arc et d’un carquois contenant des flèches ardentes (parfois représenté les yeux bandés, il décoche ses flèches à l’aveuglette). C’est le fils de Vénus (la beauté, les plaisirs) et de Mars (dieu de la guerre).
  • Dans la mythologie grecque, en particulier dans Le Banquet de Platon, le dieu de l’amour est Eros, fils d’une mendiante (Pénia) et d’un homme riche (Poros)
  • étymologiquement, l’amour est donc une combinaison de contraires.]

Enfin, pour finir de se convaincre du caractère pétrarquisant du sonnet de Louise Labé, il suffit de le comparer à un sonnet de Pétrarque lui-même :

Sonnet de Pétrarque

Nulle paix je ne trouve, et je n'ai pas de guerre à faire :
Je crains et j'espère ; je brûle et je suis de glace
Et je vole au plus haut des cieux, et je gis à terre ;
Et je n'étreins nulle chose, et j'embrasse le monde entier.

Qui me garde en prison la porte ne m'ouvre ni ne ferme,
Ni ne me tient pour sien, ni ne défait les liens ;
Amour ne me tue pas et ne m'ôte pas mes fers,
Ne me veut pas vivant, et ne vient pas à mon secours.

Je vois et n'ai point d'yeux, et sans langue je crie ;
Et je désire périr, et demande de l'aide ;
Et pour moi je n'ai que haine et pour autrui qu'amour

Je me repais de ma douleur, et en pleurant je ris ;
Également m'insupportent vie et mort :
En cet état je suis, Madame, pour vous.

Sonnet de Louise Labé (poétesse appartenant à l’école lyonnaise), inspiré par celui de Pétrarque

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Sonnets, VII, 1555

  1. Une expression antithétique de la souffrance amoureuse

L’amour est ici défini comme la coexistence de sentiments contraires. Aussi plusieurs sentiments s’entremêlent-ils dans les quatrains de ce sonnet : l’ennui (4), le tourment (6) et la tristesse (exprimée par le groupe verbal « je larmoie » v.5) d’une part et la joie (4), le plaisir (6) et le bonheur (manifesté par la proposition « je ris ») d’autre part.

Nombreuses sont les antithèses qui montrent les hauts et les bas de l’exaltation amoureuse :

« je vis ó je meurs »

« brûle ó noie »

« chaud extrême ó froidure »

« molle ó dure »

« ennuis ó joie »

« ris ó larmoie »

« plaisir ó tourment »

« s’en va ó dure »

« je sèche ó je verdoie »

« plus de douleur ó hors de peine »

« désiré heur ó malheur »

Parmi ces antithèses, on retrouve des images pétrarquistes par excellence : l’opposition de la vie et de la mort, celle de l’eau et du feu, du froid et du chaud, du tendre et de l’acerbe (« molle – dure »), ainsi que les métaphores des cycles de la nature (sécher = mourir ó verdoyer = renaître).

L’aliénation amoureuse se lit dans cette indifférenciation de la vie et de la mort, qui se comprend comme un symptôme d’asservissement.

Ces nombreuses antithèses traduisent un état de confusion, qui est celui de l’individu soumis aux affres (tourments, tortures) de l’amour.

  • La confusion est effective dans la coexistence de termes contraires, et cette simultanéité est marquée par différents moyens :
  • La juxtaposition (1er hémistiche)
  • Le plus souvent par la coordination (« et » + polysyndète vers 5 et 6 : « Tout à un coup je ris et je larmoie,/ Et en plaisir maint grief tourment j’endure)
  • Le gérondif « en endurant »
  • L’expansion du nom (« J’ai grands ennuis entremêlés de joie »)
  • l’utilisation du présent (duratif, car les sensations et émotions ne sont pas limitées dans le temps, et itératif, car elles se répètent)
  • la subordination dans les deux tercets (subordonnées conjonctives, circonstancielles de temps)
  • le participe passé « entremêlés » et l’anaphore de la locution adverbiale « tout en/à un coup » (qui ouvre et ferme le 2ème quatrain) renforcent cette impression de simultanéité qui crée la confusion, le désordre.
  • Les moments se mêlent confusément : ainsi le moment bref « tout à un coup » et l’éternité « à jamais » ; la vie et la mort sont d’ailleurs unis dans une même proposition.

  1. Une expression hyperbolique de la passion amoureuse

En outre, ces antithèses ont pour la plupart un caractère hyperbolique : les mots utilisés paraissent excessifs pour qualifier un état psychologique, si passionné soit-il.

  • Les figures, très concrètes, suivent la tradition pétrarquiste et assimilent l’amour à un incendie ou une noyade (1), à la torture (6) ou à des phénomènes naturels cataclysmiques (2, 8). Tout semble avoir des proportions démesurées, comme le montre le premier hémistiche du poème, « Je vis, je meurs » : cet hémistiche est radical : l’amour est à la fois vie et mort, vital et mortifère.
  • Nombreuses hyperboles : « chaud extrême », « et trop molle et trop dure », « grands ennuis », « maint grief tourment » (« grief » est un mot ancien signifiant « pénible, douloureux » ou encore « fort, terrible »), « à jamais il dure », « inconstamment ».
  • D’ailleurs ces hyperboles sont souvent doublées d’expressions absolues qui renforcent l’amplification, tels l’adverbe d’intensité « trop », les locutions adverbiales « à jamais » ou « tout en un coup ».

L’amour apparaît donc comme un sentiment qui bouleverse complètement la personne qui aime. C’est le topos de « l’amour maladie » ou du « doux mal », de la délicieuse souffrance que procure l’amour.

  1. Un lyrisme plus exalté et plus personnel

  1. L’affirmation d’un « je » souffrant
  • Louise Labé concentre l’émotion dans le pronom de la première personne (13 occurrences du pronom personnel sujet « je »). Le « moi » apparaît comme un patient privé de toute volonté propre et de toute capacité d’action. On le retrouve sous d’autres formes : renforcé par le pronom personnel COD « me », notamment dans les formes verbales pronominales (« Je me brûle et me noie »), mais aussi dans le déterminant possessif « mon ».
  • Ce « je » est celui d’une femme, ce qui, en soi, est original :
  • Il y a peu de femmes poètes à l’époque.
  • Comme cela a été expliqué plus haut, L. Labé renverse le topos de la souffrance amoureuse habituellement « réservée » au poète.
  • Si ce sonnet est lyrique comme le sont les poèmes de Pétrarque, ce lyrisme est encore plus exalté, avec la prédominance du pronom « je ». Le ton des tercets est d’ailleurs celui de la confidence puisqu’ils révèlent au lecteur l’origine du malaise.
  • Même si l’absence de la mention du nom de l’aimé et le sujet qui est celui des effets de l’amour peuvent donner au propos une dimension universelle, le poème n’en garde pas moins une dimension autobiographique.

  1. Des émotions incarnées

Louise Labé ne nous livre pas une déclaration d’amour stylisée, épurée ; son « cri » est bien vivant, l’amour s’incarne en une femme qui n’a pas peur de dire ses émotions et ses sensations, et qui a l’intelligence de les analyser.

  • L’expression de la souffrance et de l’exaltation passe essentiellement par les sens.
  • Le lexique des sensations est très présent dans ce poème : le chaud et le froid (1 et 2), mais aussi des sensations tactiles (3), visuelles (« verdoie »).
  • Si, dans les quatrains, ce sont les manifestations physiques de l’amour qui sont énoncées, dans les tercets, la poétesse tente de réfléchir aux conséquences de l’amour, comme l’indiquent les verbes dont elle est le sujet et qui révèlent la tentative d’interprétation de son état (parallélisme : « Et quand je pense », « Puis quand je crois »).

Louise Labé ne se contente donc pas d’exposer le paradoxe de la passion amoureuse, mais elle tente d’analyser cette inconstance fondamentale de l’amour où le partage entre la douleur et le plaisir est si difficile à cerner.

  • Le poème est marqué par le mouvement et la rapidité.
  • Désordre et inconstance de l’état amoureux (antithèses qui se succèdent à un rythme rapide)
  • Accumulation des différents états (2 états différents dans le premier hémistiche, idem aux vers 5 et 8)
  • Mouvement cyclique : éternel recommencement
  • Les émotions s’incarnent aussi dans la forte musicalité du texte (Louise Labé avait appris la musique et elle en jouait) :
  • Allitération de [m] dans tout le poème : ce phonème peut évoquer un gémissement, une plainte lancinante, mais il rappelle aussi le sujet du texte : l’amour ([m] = aime)
  • Idem pour le phonème [r] : il crée un son vibrant, qui heurte, qui manque de douceur, surtout quand il est associé à une autre consonne : « brûle », « extrême », « froidure », « verdoie »… Ce son omniprésent peut représenter la difficulté du sentiment amoureux, le manque d’harmonie.
  • Nombreux échos sonore à l’intérieur des vers, qui renforcent la dimension répétitive du cycle, par exemple le phonème [i] (« je vis », La vie », « ennuis », « je ris », « plaisir ».
  • Les hiatus (hiatus : rencontre de 2 voyelles sans pause) disent le manque d’harmonie, les heurts entre états opposés mais simultanés : « Ainsi Amour », « Et être au haut de mon désiré heur »

  1. Le pouvoir de l’amour : reconnu et accepté

L’expression antithétique des sensations et sentiments est ici portée à son paroxysme. C’est un désordre, une confusion dont est victime l’amante (dans le sens de « celle qui aime ») et qui révèle le pouvoir de l’amour.

Ce pouvoir est constaté et accepté.

  • Face au désordre de l’être provoqué par le sentiment amoureux, registre pathétique s’impose, malgré les allers-retours constants entre bonheur et malheur, en particulier dès le vers 9 où la jeune femme apparaît comme la « marionnette » de l’amour personnifié, véritable tyran, puisqu’elle devient pour la première fois COD du verbe : « Ainsi Amour inconstamment me mène ». « Amour » apparaît d’ailleurs comme ruinant toute harmonie de l’être puisqu’il crée un hiatus : « Ainsi Amour ».
  • Les jeux sur les sonorités renforcent cette dimension pathétique : le mot « dur », qui peut évoquer la difficulté à supporter qqch ou, par homophonie, le fait de continuer longtemps, se retrouve plusieurs fois dans les deux quatrains, comme un refrain lancinant : « endurant », « froidure », « dure », « j’endure », « il dure ».
  • Enfin, si comme c’est le cas dans de nombreux sonnets, la pointe finale, moment clé du poème, opère un renversement en raison de la chute sur un terme sémantiquement fort et négatif (« malheur ») Cette pointe originale constitue aussi un retour au premier vers, renvoi qui suggère l’éternel retour de cette délicieuse souffrance ; elle révèle ainsi le cercle infernal de la passion amoureuse qui enferme le sujet amoureux « dans [son] premier malheur. On remarque d’ailleurs, à cet effet, que le dernier hémistiche rime avec le premier. On retrouve ici le registre tragique : la jeune femme ne peut échapper à cet amour qui l’exalte et la fait souffrir.
  • Registres pathétique et tragique.

Conclusion

Au fur et à mesure du sonnet, Louise Labé fait le constat de sa défaite : l’amour a tout pouvoir et l’amante ne peut que subir son despotisme indéfiniment. Mais ce constant tragique, la poétesse le sublime par une émotion vibrante et très musicale, et par un lyrisme très personnel. A partir de son expérience, L. Labé nous peint une vision universelle de la passion amoureuse.

Paradoxalement, Louise Labé choisit de nous parler du désordre amoureux dans la forme la plus contrainte, celle du sonnet. Celui-ci peut évoquer l’enferment dans la passion amoureuse, mais le plaisir de la lecture naît aussi de cet apparent paradoxe, de cette tension entre la force du cri et le travail du texte. C’est sans doute ici, dans la puissance des mots ciselés, que la poétesse retrouve une forme de maîtrise qui lui échappe dans les sentiments.

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