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24 juin 2015 3 24 /06 /juin /2015 10:17

Séquence IX. L’humanisme. Sonnets de Louise Labé

Lecture analytique du sonnet II.

BIOGRAPHIE

Voir sonnet VIII.

Dans un sonnet moins clairement pétrarquisant que le précédent, Louise Labé revisite cette fois la forme du blason pour exprimer son désir de l’homme aimé et la plainte qu’engendre la douleur de ne pas recevoir cet amour en retour.

PLAN

  1. Un blason revisité.

  1. Une évocation sensuelle et audacieuse de l’homme aimé
  2. Un blason au service de l’expression des sentiments

  1. Une véritable élégie.

  1. L’exaltation amoureuse : entre désir et souffrance
  2. Un lyrisme personnel

DEVELOPPEMENT

Pour bien comprendre : Qu’est-ce qu’un blason ?

Le "blason" est un court poème célébrant une partie du corps féminin ("Blason du beau tétin" de Marot, "Le Front" de Maurice Scève", "Blason de l'œil" de Mellin de Saint-Gelais,...).

Dans le même esprit, certains poèmes évoquent le corps entier en détaillant successivement ses différentes parties ("Marie, vous avez la joue aussi vermeille..." de Ronsard, "L'Union libre" de Breton).

Le blason se fait parfois satirique : on parle alors de "contre-blason" ("Blason du laid tétin" de Marot, "O beaux cheveux d'argent..." de Du Bellay).

Le blason apparaît au milieu du XVème siècle. A Ferrare où le ressuscite le poète Clément Marot, exilé vers la fin de 1535, il va prendre la forme exclusive de l'éloge (ou inversement du blâme) du corps féminin. Pendant une quinzaine d'années, les poètes français rivalisant avec Marot, vont faire rêver sur les beautés du corps de leurs belles amies réduit à l'absolu d'un détail qui devient tout un monde. Car il n'y a blason que d'une partie du corps ou d'un accessoire de sa parure (épingle ou miroir) mais beaucoup plus rarement de l'ensemble du corps.

Le blason ne suit pas de règle fixe. A l'époque de Marot, il est généralement bref, en rimes plates, en octosyllabes ou décasyllabes. D'habitude, on s'adresse directement à la partie du corps célébrée en empruntant le modèle rhétorique de l'apostrophe.

En fait, 4 tons différents peuvent être empruntés :

  • le ton sensuel et voluptueux,
  • le ton grossier ou grivois (on trouve ainsi un blason anonyme intitulé « Le con de la pucelle », ou encore un blason d’un auteur appelé Eustorg de Beaulieu qui s’intitule « Le cul » !!)
  • le ton courtois ou pétrarquiste,
  • et enfin le ton spirituel (néoplatonicien ou ficinien, d’après le poète et philosophe italien Marsile Ficin)

Quand le ton grossier est utilisé et qu'on tombe dans le dénigrement satirique, on parle alors de contre-blasons. Dans tous les autres cas, on parle de blasons.

Exemples :

Le sourcil (Maurice Scève se fit remarquer en remportant en 1536, grâce à ce poème, le concours des blasons lancé en 1535 par Clément Marot)

Sourcil tractif en voûte fléchissant
Trop plus qu'ébène, ou jayet noircissant.
Haut forjeté pour ombrager les yeux,
Quand ils font signe ou de mort, ou de mieux.
Sourcil qui rend peureux les plus hardis,
Et courageux les plus accouardis.
Sourcil qui fait l'air clair obscur soudain,
Quand il froncit par ire, ou par dédain,
Et puis le rend serein, clair et joyeux
Quand il est doux, plaisant et gracieux.
Sourcil qui chasse et provoque les nues
Selon que sont ses archées tenues.
Sourcil assis au lieu haut pour enseigne,
Par qui le cœur son vouloir nous enseigne,
Nous découvrant sa profonde pensée,
Ou soit de paix, ou de guerre offensée.
Sourcil, non pas sourcil, mais un sous-ciel
Qui est le dixième et superficiel,
Où l'on peut voir deux étoiles ardentes,
Lesquelles sont de son arc dépendantes,
Étincelant plus souvent et plus clair
Qu'en été chaud un bien soudain éclair.
Sourcil qui fait mon espoir prospérer,
Et tout à coup me fait désespérer.
Sourcil sur qui amour prit le pourtrait
Et le patron de son arc, qui attrait
Hommes et Dieux à son obéissance,
Par triste mort et douce jouissance.
Ô sourcil brun, sous tes noires ténèbres
J'ensevelis en désirs trop funèbres
Ma liberté et ma dolente vie,
Qui doucement par toi me fut ravie.

Le tétin, Clément Marot (blason et contre-blason)

Le Beau Tétin

Tétin refait, plus blanc qu’un œuf,
Tétin de satin blanc tout neuf,
Tétin qui fais honte à la Rose
Tétin plus beau que nulle chose
Tétin dur, non pas Tétin, voire,
Mais petite boule d’Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une Fraise, ou une Cerise
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage qu’il est ainsi:
Tétin donc au petit bout rouge,
Tétin qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller;
Tétin gauche, tétin mignon,
Toujours loin de son compagnon,
Tétin qui portes témoignage
Du demourant du personnage,
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te tâter, de te tenir:
Mais il faut bien se contenir
D’en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendrait une autre envie.
Ô Tétin, ne grand, ne petit,
Tétin mûr, Tétin d’appétit,
Tétin qui nuit et jour criez:
Mariez-moi tôt, mariez!
Tétin qui t’enfles, et repousses
Ton gorgias de deux bons pouces,
À bon droit heureux on dira
Celui qui de lait t’emplira,
Faisant d’un Tétin de pucelle,
Tétin de femme entière et belle.

Le Laid Tétin

Tétin qui n’as rien que la peau,
Tétin flac, tétin de drapeau,
Grand’tétine, longue tétasse,
Tétin, dois-je dire: besace ?
Tétin au grand bout noir
Comme celui d’un entonnoir,
Tétin qui brimballe à tous coups,
Sans être ébranlé ne secous.
Bien se peut vanter qui te tâte
D’avoir mis la main à la pâte.
Tétin grillé, tétin pendant,
Tétin flétri, tétin rendant
Vilaine bourbe en lieu de lait,
Le Diable te fit bien si laid !
Tétin pour tripe réputé,
Tétin, ce cuidé-je, emprunté
Ou dérobé en quelque sorte
De quelque vieille chèvre morte.
Tétin propre pour en Enfer
Nourrir l’enfant de Lucifer ;
Tétin, boyau long d’une gaule,
Tétasse à jeter sur l’épaule
Pour faire – tout bien compassé –
Un chaperon du temps passé,
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles,
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain tétin puant,
Tu fournirais bien en suant
De civettes et de parfum
Pour faire cent mille défunts.
Tétin de laideur dépiteuse,
Tétin dont Nature est honteuse,
Tétin, des vilains le plus brave,
Tétin dont le bout toujours bave,
Tétin fait de poix et de glu,
Bren, ma plume, n’en parlez plus !
Laissez-le là, ventre saint George,
Vous me feriez rendre ma gorge.

  1. Un blason revisité.

Le poème commence bien comme un blason (mais sous la forme d’un sonnet):

  • Décasyllabes
  • Apostrophe
  • Désignation d’une partie du corps

Il se mêle à la forme du sonnet. Comme pour le sonnet VIII, Louise Labé exploite la structure imposée : le blason couvre essentiellement les deux quatrains et se prolonge ensuite sur deux vers qui accélèrent et clôturent le blason.

La structure est harmonieuse

  • Chaque quatrain présente deux vers avec une coupe (4 – 6) clairement marquée par une virgule :

« Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés

Ô chauds soupirs, ô larmes épandues »

« Ô tristes plaints, ô désirs obstinés,

Ô temps perdu, ô peines dépendues »

  • Il s’agit, dans ces deux premiers vers des quatrains, de groupes nominaux (parallélismes)
  • Les deux autres vers de chaque quatrain constituent chacun un seul groupe nominal, plus long (on retrouve le parallélisme, renforcé dans le premier quatrain par la répétition de l’adverbe « vainement »
  • Anaphore de l’interjection « ô »

Le blason est clair, bien structuré dans les deux quatrains.

  1. Une évocation sensuelle et audacieuse de l’homme aimé

Mais le blason n’est pas ici qu’un exercice de style. Louise Labé s’en sert pour exprimer le désir et l’amour qu’elle éprouve pour un homme.

  • Chp lexical du corps (et de ses attitudes) : « yeux », « regards », « soupirs », « larmes », « ris », « front », « cheveux », « bras, mains et doigts ». Ces éléments, par l’apostrophe, sont personnifiés : le corps de l’homme aimé prend une place fondamentale dans le poème ; la poétesse exprime clairement son désir (l’apostrophe est en outre associé à une modalité exclamative qui traduit l’exaltation de la jeune femme)

  • Le blason, contrairement à la tradition la plus souvent répandue, ne se limite pas à une partie du corps. La poétesse évoque plusieurs sens :
  • Les yeux d’abord, et le regard : elle associe ainsi un élément physique, concret (mis en valeur par l’adjectif mélioratif « beaux » et l’allitération en [b] « beaux yeux bruns ») à un élément fondateur de la relation amoureuse, le regard de l’autre (pensez au topos de la première rencontre !!).
  • Le toucher, avec « chauds soupirs » (caresse de l’air) : la chaleur évoque la proximité, l’intimité ; le soupir est ambigu, il peut traduire le contentement ou la lassitude. Egalement avec « larmes épandues ».
  • La vue : « noires nuits », « jours luisants »
  • L’ouïe : « Ô luth plaintif, viole, archet et voix » (chp lexical de l’instrument)

  • Le blason s’accélère aux vers 9 et 10.
  • Les rimes en « oi » isolent les vers 9 et 10 qui forment ainsi un distique distinct des autres strophes aux rimes embrassées. Du point de vue syntaxique et thématique, les deux vers appartiennent à l’énumération développée dans les deux premiers quatrains. Mais la soudaine multiplication des coupes provoque une accélération qui a un effet conclusif. Le vers 9 reprend l’évocation de l’être aimé au vers 1 et le vers 10 rappelle les attributs de l’amoureuse dont la douleur était peinte du vers 2 au vers 8.
  • L’accélération est renforcée par l’asyndète et la présence de plusieurs monosyllabes (mots d’une syllabe).
  • Il s’agit de la conclusion du blason (changement de thème et d’attitude à partir du vers 11), mais la rapidité ainsi créée traduit aussi l’exaltation et l’exacerbation du désir.
  • En outre, on retrouve le sens du toucher, clairement désigné cette fois par les éléments physiques concernés : « bras, mains et doigts ». C’est ici la caresse amoureuse qui est évoquée, de manière assez audacieuse (d’autant plus que l’énonciatrice est une femme !)
  • Si l’amant est également évoqué dans sa dimension intellectuelle à travers la mention du « front », la dimension sensuelle prévaut et culmine dans le vers 11 : « Tant de flambeaux pour ardre une femelle ». Certes, c’est la métaphore convenue du feu de la passion qui est exploitée ici, et reprise ensuite dans le dernier tercet (« feux », « étincelle »), mais Louise Labé parvient à renouveler la plus usée des métaphores en lui donnant une intensité physique, en réactivant sa matérialité. Le mot « ardre » qui garde la force perdue dans les mots « ardeur », « ardent », rend plus poignant le mot «femelle » qui signifie ici « pauvre femme » (et qui en outre accentue la sensualité par la dimension animale du terme). Surtout, les mots qui expriment le désir (« flambeaux », « feux ») sont rendus plus concrets par les verbes qui les accompagnent : « portant », « tâtant ». Dans la chute, le mot « étincelle » contribue à rendre perceptible ce désir qui ne brûle que l’amoureuse. Ces « flambeaux », sont ici les charmes de l’être désiré : toutes les expressions qui précèdent le vers 10 rendent visibles ce qui embrase si douloureusement la jeune femme.

Louise Labé détourne le blason car c’est la voix d’une femme qui s’exprime ici, et qui dit avec audace son désir de l’homme aimé, annoncé dès le 2ème tercet par la personnification « désirs obstinés ».

2) Un blason au service de l’expression des sentiments

Mais ce blason qui lui permet d’exposer la sensualité de son désir lui offre lui permet également d’exprimer ses sentiments.

  • Ainsi, elle mêle immédiatement à son énumération des parties du corps d’autres éléments, plus abstraits, dérogeant ainsi à la forme traditionnelle du blason :
  • Des éléments liés au temps (celui de la passion) :

« Ô noires nuits vainement attendues/ Ô jours luisants vainement retournés »

« Ô temps perdu »

  • Des éléments exprimant sa douleur : « Ô tristes plaints » (plaintes, gémissements), « ô peines dépendues »
  • Des éléments exprimant le danger et connotant la mort :

« Ô mille morts en mille rets tendues/ Ô pires maux contre moi destinés »

Tous ces éléments ont clairement des connotations négatives, souvent d’ailleurs renforcées par des hyperboles (« vainement », « mille », « pires »)

Le blason permet ainsi à la jeune femme de dire son désir et, en même temps, la douleur de ne pas voir ce désir satisfait et l’amour réciproque.

  • En outre, L. Labé joue sur l’ambiguïté du désir (exaltation et douleur) et de la situation d’énonciation.
  • Vers un et deux : s’agit-il de lui ou d’elle-même ? Ou des deux ? Cette confusion sera clarifiée au fil du poème.
  • « ô regards détournés » : se détournent-ils par pudeur ou par indifférence ? « chauds soupirs » : s’agit-il de plaisir ou de souffrance ? La réponse semble se donner dans le 2ème hémistiche du vers 2 : le chiasme permet d’associer les soupirs aux larmes. Le regard de l’autre, fondateur de la relation amoureuse, se détourne ici : refus de cet amour.
  • De la même manière, la « voix » évoquée au vers 10 est-elle celle de l’homme aimé ou la sienne quand elle chante sa plainte ? Les éléments liés à la musique nous rappelle que cette dernière a fait partie de l’éducation de la poétesse, et qu’elle est un domaine où la poétesse peut a à la fois exprimer ses sentiments et trouver du réconfort (voir même thème dans les sonnets XII et XIV).

On retrouve ici, à travers ces différents éléments mêlés, le topos de la « délicieuse souffrance amoureuse » : l’amante désire, aime, mais souffre en même temps de l’attitude indifférente de l’aimé.

Louise Labé utilise la forme du blason pour exprimer toute l’ambiguïté du sentiment amoureux, et elle en arrive à exprimer une plainte claire et directe.

II. Une véritable élégie (l’élégie est un poème lyrique exprimant une plainte douloureuse et/ou des sentiments mélancoliques).

  1. L’exaltation amoureuse : entre désir et souffrance

Louise Labé inscrit d’emblée la douleur dans son amour, comme dans le sonnet VIII (tout en utilisant des moyens différents).

  • Dans les deux quatrains, à la structure très harmonieuse, elle modifie le rythme dans les deux derniers vers : l’allongement des groupes nominaux va de pair avec l’expression de la frustration et de la douleur.
  • La frustration et la douleur apparaissent d’emblée, au cœur même du blason : « ô regards détournés », « ô larmes épandues ». Le registre pathétique est convoqué dès la 1ère strophe. Dès lors, le premier hémistiche semble à la fois louer la beauté de l’amant et être un appel à un regard, à la compassion de ce dernier.
  • Les termes négatifs s’accentuent dès le vers 3 : « noires », « vainement », puis dans le quatrain suivant : chp lexical de la tristesse et de la douleur (« tristes », « plaints », « peines », « maux »).

Dans tout le poème, on retrouve une isotopie de la douleur :

  • Chp lexical de la tristesse et de la plainte : « soupirs », « larmes », « tristes plaints », « peines », « plaintif », « me plains »
  • Chp lexical de la douleur et de la mort : « noires », « morts », « rets », « maux », « ardre ».
  • Une des raisons de la douleur est l’attente (non satisfaite) : elle est mise en avant par le chiasme « Ô noires nuits » - « Ô jours luisants » et par le parallélisme (+ répétition de « vainement »). Les expressions opposant le jour à la nuit, soulignent que la passion a sa durée propre, toujours la même, qu’il fasse jour ou nuit, temps de l’attente toujours vive, toujours déçue (v. 3), « temps perdu » (v. 6). Cette durée subie mais acceptée, comme l’indique la personnification « obstinés » (v. 5), est celle de l’attente solitaire et douloureuse. La passion est cette souffrance qui dure → registre tragique.
  • L’assonance générale en [i] (« soupirs », « nuits », « luisants », « tristes », « désirs »…) accentue la plainte qui se fait de plus en plus aiguë.
  • La douleur devient encore plus explicite au vers 5 avec l’expression « tristes plaints » (presque un pléonasme ! en tous cas une expression hyperbolique de la plainte) ; on retrouve la confusion évoquée plus haut entre désir et souffrance par le chiasme qui associe les désirs aux « plaints ».
  • Aux vers 7 et 8, c’est le registre tragique qui se fait explicite :
  • Hyperbole et répétition : « Ô mille morts en mille rets tendues » ; évocation de la mort (une mort symbolique, générée par l’indifférence de l’être aimé), image du filet (les « rets ») qui traduit une situation sans issue → registre tragique.
  • La poétesse se place en victime au vers 8 puisqu’elle est la cible des « pires maux « (« contre moi » est mis en évidence par inversion). L’allitération en [m] (« mille », « morts », « maux », « moi ») fait entendre le gémissement de la plainte.

  1. Un lyrisme personnel

  • Louise Labé traduit sans doute sa propre expérience amoureuse dans ses sonnets. Il y a donc une dimension autobiographique.
  • Elle apparaît au vers 8, dans le pronom personnel (forme tonique) de la 1ère personne du sg « moi ». On la retrouve dans le pronom personnel « me » (verbe pronominal » au vers 12 et dans le déterminant possessif « mon » au vers 13.
  • Elle est également présente à travers l’évocation de la musique, et cette musique est associée à sa plainte par l’hypallage « luth plaintif ». Dès lors, l’archer de l’instrument peut évoquer, par homophonie, l’archer, or l’allégorie de l’amour est souvent une créature enfantine qui porte un carquois et des flèches…
  • On la retrouve dans le vers 11 : « Tant de flambeaux pour ardre une femelle », où elle se désigne par le mot « femelle » (douleur et sensualité ») où elle réinvente le topos du feu de la passion (force du mot « ardre », ancien mot pour « brûler » dont on retrouve la trace dans l’adjectif « ardent », le mot se détache par ailleurs par des sonorités âpres, rudes, heurtées/ hyperbole de « tant de »).

  • Elle exprime clairement, directement, son désir et sa plainte.
  • Les éléments qu’elle apostrophe dans le blason sont personnifiés : elle les prend à témoin de sa douleur.
  • Dans la dernière strophe, elle adresse directement sa plainte à l’être aimé, le mettant en évidence par inversion : « De toi me plains » (on remarquera que l’inversion permet à la poétesse d’unir le « toi » au « me »). Elle souligne ainsi l’origine de son mal et assume pleinement sa plainte.
  • Répétition et hyperbole avec « tant de » (écho au vers 11)
  • Suspension de la chute (« pointe ») par les compléments circonstanciels « tant de feux portans » et « En tant d’endroits d’iceux mon cœur tâtant » (« iceux » est un ancien démonstratif, il désigne les feux).
  • Expression claire de la blessure de l’amour : le feu touche le cœur, siège des sentiments (métonymie)
  • La pointe exprime la raison de la plainte : l’indifférence de l’être aimé qui, malgré « l’incendie » qu’il provoque, n’est pas touché par la moindre étincelle (métaphore filée).

Registres du texte : lyrique, élégiaque, épidictique, pathétique et tragique.

CONCLUSION

Le sonnet s’adresse à l’être aimé. Est-ce une tentative de dialogue ? Se parle-t-elle à elle-même ? La série des exclamations, la véhémence de l’apostrophe, la force du tutoiement montrent la force du désir, font sentir l’émotion de celle qui prend la parole.

L’amour est ici un appel qui reste sans réponse : l’amoureuse est réduite à la solitude. Elle se sent seule en présence même de l’être aimé. Regardant, contemplant l’être qui l’attire, elle voit son indifférence, qui le rend peut-être encore plus attirant.

Louise Labé revisite cette fois la forme du blason : c’est une femme qui ose dire son désir sensuel et sa souffrance, qu’elle adresse directement à celui qui la provoque. Mais, encore une fois, elle trouve sans doute dans le chant et la parole poétique, dans une création qu’elle maîtrise parfaitement, un lieu de sublimation de sa souffrance.

Ouvertures possibles?

  • L’autre sonnet, ou encore d’autres que vous aurez choisis en lecture cursive (la forme, les images et les thèmes sont récurrents)
  • Le poème d’Eluard pour la thématique du regard
  • Celui de Baudelaire pour la souffrance de l’amour
  • Un texte d’une autre poétesse, par exemple Marceline Desbordes-Valmore qui d’ailleurs rend hommage à Louise Labé dans ses vers et a aussi écrit des élégies (mais au XIXème siècle, « Les séparés » par exemple).

Pour info :

La poésie de la Renaissance est polyphonique : les paroles alternent, se croisent, conjuguent leurs effets. C’est le sens de la reprise que fait Olivier de Magny (qui passe pour être l’amant regretté) des quatrains du sonnet II, et de l’expansion qu’il leur donne dans les deux tercets de son cru :

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés
Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues
Ô jours luisants vainement retournés !

Ô tristes plaints, ô désirs obstinés,
Ô temps perdu, ô peines dépendues,
Ô mille morts en mille rets tendues,
Ô pires maux contre moi destinés !

Ô pas épars, ô front arde
nte flamme

Ô douce erreur, ô pensers de mon âme
Qui çà, qui là, me tournez nuit et jou
r,


Ô vous mes yeux, non plus yeux mais fontaines,

Ô dieux, ô cieux, et personnes humaines,

Soyez pour dieu témoins de mon amour.

Ce que le dialogue entre les deux poètes avoue, c’est le caractère ludique de ces textes croisés. Ils constituent une joute poétique sur un thème imposé. Ce dialogue peut déranger l’idée que nous nous faisons de l’originalité, de l’invention poétique, il attire notre attention, non sur les sentiments éprouvés, mais sur les mots avec lesquels on parle de l’amour, avec lesquels on fait parler l’amour. Après tout, « faire l’amour », au XVIème siècle, signifie bien « parler d’amour », faire sa cour ».

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